Les textes de Jacques Fabre
 
Jeux de rimes
Certains poètes affectent de considérer les dictionnaires de rimes comme des accessoires indignes de leur talent... Pourtant, d'éminents auteurs n'ont pas fait mystère d'y avoir recours de temps à autre. Si la poésie n'est pas dans la rime, la rime contribue souvent à la magie de l'écriture poétique, à mon humble avis. Dès lors, autant qu'elle soit bonne !
Je vous propose trois sonnets, à prendre comme des plaidoyers pour et contre.
 
 










 
Pour le dictionnaire de rimes
 
 
 
Petit livre magique à l'infinie richesse,
Ah ! que j’aime à me perdre en tes mots empilés
Comme une brave armée de sauveteurs zélés
Prête à me secourir au fond de ma détresse !
 
Mon esprit vagabond butine le pollen
De tes mots épanouis exhalant leur arôme ;
Une gerbe d’idées multicolore embaume
Les allées de mes vers, comme au jardin d’Eden !
 
Poussé par le hasard que gouverne la Muse ,
Mon regard ébloui batifole et s’amuse
À choisir pour mon vers la rime qui convient.
 
Et si cette insolente exige une rature
Égratignant un peu le cœur du texte ancien,
C’est d’un bien faible prix payer cette aventure…
 
 
 
 
 
Les mots que nous croyons sortis de notre tête
Ne nous viennentils pas d'un maître, d'un parent ?
L’effort que nous faisons quelquefois vainement
Pour les en extirper seraitil plus honnête
 
Que celui qu’on déploie tout naturellement
Lorsque nous nous servons de listes déjà prêtes ?
Y atil honte à devoir une orthographe nette
À un bon vieux Larousse ouvert de temps en temps ?
 
Il en va de l’argent comme du dictionnaire
De rimes : comme lui, serviteur exemplaire,
Il est un mauvais maître. Un poète se doit
 
De régner sur sa plume et sur son écritoire.
Attentif au ministre, il demeure le roi ;
Du règne il porte seul l’insuccès ou la gloire
 
9 juillet 2004
  Jacques Fabre © 7 juillet 2004 Retour Poèmes                                                        Haut de la page

 
Contre le dictionnaire de rimes
 
 
Honte au pauvre rimeur qui a recours à toi !
Au poète indigent se vautrant dans le crime
D’extirper de ton sein la misérable rime
Qui comble le désert d’un esprit aux abois !
 
Les mots faits pour porter une pensée intime
Peuventils emprunter à autrui une voix
Qui, trompant le lecteur, de bien mauvaise foi
L’entraîne à son insu dans cette pantomime ?
 
Poète ! Fais parler ton cœur, ou bien taistoi !
Que tes propres mots seuls expriment ton émoi !
Méprise l’artifice, et fuis la pacotille !
 
Garde la pureté de ton inspiration,
Et renonce à l’appui d’une pauvre béquille !
À ce prix est l’honneur de toute création.

            Jacques Fabre
 ©  juillet 2004
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Bouts rimés
 
Les poèmes qui suivent sont des bouts rimés, c'est à dire qu'ils ont été composés à partir de rimes imposées, choisies par un tiers, ou extraites d'une oeuvre connue.
Ce genre, qui tient plus de l'exercice de style que du jaillissement spontané, donne rarement à des chefs-d'oeuvre... Mais il peuvent présenter un certain intérêt.
Jugez-en par vous-même...
 

 
Vous lirez dans le tableau ci-dessous :


L'amoureux transi économe (rondel)
Désillusions (sonnet)
Viatique pour un marcheur (sonnet)
Au fond de l'ergastule (sonnet)
Rentrée (sonnet)
Ces messieurs au salon (sonnet)
Tableau d'un marché indien (sonnet)
Désamour (sonnet)



 













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 L'amoureux transi et économe (rondel)
 
 
 
Ah ! laisse-moi, ma mie, cueillir ta fleur !
Renonce à la pudeur qui nous divise...
Étendons-nous, veux-tu, sous la marquise,
Dans ton charmant jardinet de Honfleur.
 
Je vois tes joues s'empourprer de couleur...
Cette folie, pourtant, nous est permise !
Ah ! laisse-moi, ma mie, cueillir ta fleur !
Renonce à la pudeur qui nous divise...
 
Préfères-tu une chambre à Harfleur ?
C'est vingt euros la nuit, taxe comprise...
Si après ça je ne t'ai pas conquise,
Nous poursuivrons dans ma piaule à Barfleur...
Ah ! laisse-moi, ma mie, cueillir ta fleur !
 
 
 
© 26 septembre 2006
 
Désillusions
 
 
 
Comme un enfant gâté lassé du sol natal
Mon pays provoquait mes grimaces hautaines.
Je me sentais l’ardeur des vaillants capitaines
Sûrs d’imposer leur force en maint combat brutal.
 
C’est avec un esprit forgé dans le métal
Que j’escomptais déjà mes victoires lointaines,
Comme un roi médiéval qui pousse ses antennes
Au-delà des confins du monde occidental !
 
Mais la vie m’a privé de batailles épiques !
Si elle m’a conduit, parfois, jusqu’aux Tropiques,
C’est pour m’offrir la plage au doux sable doré !
 
Des avions luxueux furent mes caravelles.
Le vrai monde caché m’est resté ignoré !
Vieillissant, mon terroir m’offre des joies nouvelles !…
 
© 20 septembre 2005
(sur les rimes des Conquérants, sonnet de José Maria de Heredia)
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Viatique pour un marcheur
  
 
Marcheur, prends ton bâton, et pars ! Le monde est vaste
Ne laisse pas ta vie sombrer dans le néant
Qui guette le grincheux, maussade et maugréant,
Dont l’esprit est stérile et croit demeurer chaste !
 
Sillonne l’univers que la guerre dévaste ;
Côtoie le malheureux, le saint, le mécréant,
Mais refuse l’obscène, et fuis le bienséant !
Rejette la lésine, et méfie-toi du faste.
 
La misère souvent succède à la splendeur.
La joie qui vient des mots dictés par la candeur
Te guérira du mal d’un vain propos acide !
 
Quand, au regard perçant de l’infaillible lynx,
Tu préféreras l’œil d’un gros matou placide,
Marcheur, tu atteindras la sagesse du Sphinx !
 
© 13 septembre 2005
 
Au fond de l’ergastule...
 
 
Loin des ors du palais au lustre adamantin
L’homme se morfondait au fond de l’ergastule…
L’alcool obscurcissant son sens du ridicule
Il poussa tout un jour des cris de lamantin !
 
Où donc était la fille au galbe serpentin
Qui allait, demi nue, les jours de canicule,
Faisant bouillir son sang au fond des ventricules,
L’incitant à des jeux n’ayant rien d’enfantin ?
 
Son regard enjôleur ne fut jamais que ruse,
Et le blanc de ses dents n’était que de céruse…
Son corps tenait dans un corset de ferrailleur !
 
Il paie de la prison un coup de pertuisane
Qui jeta ad patres son rival orpailleur !
Adieu, punch au rhum brun ! Bonjour, pot de tisane…
 
© 7 septembre 2005
 
 Poèmes    
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Rentrée
 
Le mois d’août finissant fuit devant la rentrée !
Comme la mer balaie le sable des châteaux
Le vent vif de septembre esquisse les tableaux
De froids déserts couvrant les riantes contrées.
 
Des fureurs d’équinoxe il dispose les traits
Qui nous font oublier le clapot monotone
Des marées de l’été. Les couleurs de l’automne :
Or, brun, rouge éclatant, réchauffent les portraits.
 
Au loin quelques bruits sourds, évocation fugace
D’un monde âpre et cruel, nous parlent de la chasse.
Où sont les doux bambins pataugeant dans la mer ?…
 
Ils prennent sagement le chemin de la classe,
Pleins de chauds souvenirs pour affronter l’hiver
Et attendre le temps de jouer sur la glace !
  
Jacques Fabre © 23 août 2005
 
Ces Messieurs au salon
 
Dans un frou-frou mousseux de tulle et d’organdi,
La Belle entre au salon. L’éclat de sa personne
Éblouit ces Messieurs. Son regard bleu s’étonne
De l’émoi qui saisit jusqu’aux plus engourdis.
 
À l’idée d’affronter ces démons de midi
Une bouffée brûlante envahit « la Baronne » !
Sa main fine et polie doucement déboutonne
Le fermoir de son col par trop d’empois raidi.
 
Sous son charmant chapeau, fait de plumes de merle,
Elle éponge son front où quelques gouttes perlent,
Avant de se poser au coin du canapé.
 
Soudain un vieux monsieur à la mine benoîte,
Jaillissant comme un diable échappé de sa boîte,
Dit : « Le lot au premier qui l’aura attrapé ! »
 
Jacques Fabre © 1er septembre 2005
 Poèmes     
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Tableau d’un marché indien
 
 Ce poème est construit sur un principe différent des bouts rimés : il comporte un vers (*) extrait du poème de Théodore de Banville, A la forêt de Fontainebleau.
 
Sur les bords de l’Indus le village est en fête.
De toute la contrée des marchands sont venus.
Et parfois les accents de langues inconnues
Émoustillent l’oreille, et font tourner les têtes.
 
On discute âprement le prix de chaque emplette ;
On saisit l’occasion de varier le menu
D’un nouveau condiment, ou d’un beau fruit charnu.
Un saltimbanque appelle à grand bruit de trompette.
 
De sa flûte d’ivoire, un fakir hiératique
Tire de son sommeil un cobra apathique :
Le serpent taché d’or se relève engourdi.*
 
La foule frémissante applaudit au miracle
Et jette une piécette à ce dompteur hardi,
Puis s’en va, éblouie, vers un autre spectacle.
 
© 28 septembre 2005    
 
Désamour
 
 
 
 
 
En ce temps–là, il m’en souvient, j’étais bien aise
De me laisser charmer par ta voix de cristal.
Ta lèvre était d’un velouté si végétal
Que tes moindres baisers avaient un goût de fraise.
 
Ni le sentier fangeux, ni l’abrupte falaise,
Ne te faisaient sentir quelque danger fatal.
Ton courage, hérité de ton pays natal,
Frisait bien, quelquefois, l’inconscience niaise.
 
Je me lassai bientôt des cruautés d’Incas
De tes jeux enfantins. Tes incessants tracas
De notre chant d’amour rompaient la mélodie.
 
Le rose de tes joues vire au coquelicot,
Et ta grâce en chantant tourne à la parodie
Du braiement discordant d’un humble bourricot.
 
© 27 août 2005           
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