Les textes de Jacques Fabre
 
 
Mon cœur est ce jardin
 
 
Depuis des temps anciens, une riche famille
Possédait un jardin quelque peu retiré.
Bien que l’on raffolât de sa poire à curé
Le désir se perdit d’en entrouvrir la grille.
 
La nature eut tôt fait d’envahir sa charmille ;
Herbe folle, chiendent peuplèrent ses carrés.
Un voisin, à l’étroit dans son fonds resserré,
Déclara qu’il voulait l’acquérir pour sa fille.
 
On s’avisa soudain qu’on aimait ce joyau !
Quelque temps on bina ; on sema à nouveau.
Puis, lassé, on revit le chiendent s’y étendre.
 
Mon cœur est ce jardin laissé à l’abandon.
Quand tu l’as cru perdu, tu l’as voulu reprendre…
Pour y laisser grandir l’ivraie et le chardon.
 
jardin_abandonne
P. Gauguin, Jardin abandonné
Jacques Fabre © 2 août 2006  Retour   Poèmes                      Haut de la page
 
  jonquilles
 
V. Robert, Jonquilles
Complainte du garçon qui n’aimait pas les filles
  
 
C’est un garçon qui n’aime pas les filles :
Il a donné son cœur à un garçon.
Quand il le voit, il chante, et ses yeux brillent,
Sur sa peau court un immense frisson.
 
Quand il le voit, il chante, et ses yeux brillent…
Mais bien cachée  il garde sa chanson
Car nul ne sait, ni amis, ni familles,
Qu’il a donné son cœur à un garçon.
 
Autour de lui papillonnent les filles
Dont le cœur bat quand passe un beau garçon.
Il ne voit pas que pour lui leurs yeux brillent :
Il a donné son cœur à un garçon.
 
Mais son ami, lui, adore une fille
Et ne veut pas de l’amour d’un garçon.
Pour elle, il a le regard qui pétille ;
Pour lui, son oeil est froid comme un glaçon.
 
Pour le garçon qui n’aime pas les filles
Chaque amourette de l’autre garçon
Perce son cœur de mille banderilles
Et le meurtrit de cruelle façon.
 
Il se languit, il se recroqueville,
Il pleure et souffre à perdre la raison
Et dans sa chair, l’acier froid d’une aiguille
Pour son repos injecte le poison.
 
C’était un gars qui n’aimait pas les filles
Et qui est mort pour l’amour d’un garçon.
Là, sur sa tombe, un bouquet de jonquilles
Frissonne au vent d’un printemps polisson.
 
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Jacques Fabre © 26 décembre 2003 
En tes jardins secrets
 
Le chemin qui conduit en tes jardins secrets
Dédaigne les palais aux larges avenues.
Il serpente au couvert du bleu manteau des nues
Et s’égare parfois en de sombres forêts.
 
On aime à s’y étendre. Il y souffle un vent frais
Caressant tant de fleurs aux senteurs inconnues !
Un Cupidon taquin poursuit des vierges nues
Qui s’enfuient en riant pour esquiver ses traits…
 
Qu’il est beau, ton visage ému quand tu écoutes
La fontaine attristée qui pleure mille gouttes,
Et réveille une peine endormie dans ton cœur !
 
Quand, sur ton muet regard, dans le bois je m’élance
Pour faire taire un chant lassant d’oiseau moqueur,
D’un doux baiser tu paies le retour du silence.
 
parc_belleu
Parc à Belleu (Aisne)                    Photo : Jacques Fabre (c) 2004
        Jacques Fabre © 16 septembre 2005 Retour   Poèmes                                   Haut de la page 
 
 
Ecorce
Épave
 
 
Parfois, me promenant sur la plage déserte
Je vole aux flots roulants une pièce de bois.
Un monde de pensées alors se lève en moi
Qui viennent animer ma pauvre découverte.
 
Je songe à la forêt où elle vit le jour,
Au pré voisin peuplé de pacifiques vaches
Et au sombre matin où, sous les coups des haches
L’arbre qui la portait se coucha pour toujours.
 
J’entends l’insupportable hurlement des scies,
Puis je vois, au milieu d’un monceau de scories,
Dans la douleur, surgir un volume parfait.
 
Longtemps elle cingla les mers en tant qu’étrave
Avant que la tempête ou quelque vent mauvais
Change son fier navire en une simple épave.
 
 
Retour   Poèmes                      Haut de la page              Jacques Fabre ©21 juillet 2008
 
 
Espoir
 
 
Du monde corrompu – marais pestilentiel
Où prospère en tous temps la pire médisance –
Je m’échappe parfois, en quête d'innocence,
Et je trouve un répit en contemplant le ciel.
 
Au fracas incessant succède le silence.
On y goûte sans frein un parfum d’éternel.
Tout est calme et serein, sensible et irréel.
Là, du monde importun je savoure l’absence.
 
Mon âme s’affranchit du poison délétère
Des haines entassées. Je franchis la frontière
Entre ce qui veut vivre et ce qui va mourir.
 
Le bleu profond des cieux tout à coup régénère
Mon âme desséchée, qui commence à fleurir.
Je crois voir de l’amour sauver la terre entière !
 
Ciel Oléron
                                                                                                             Île d'Oléron, photo David Houy
      Jacques Fabre © juillet 2005  Retour   Poèmes                      Haut de la page
 
 
picasso_musique
       Pablo Picasso, Musiciens
    Fête de la musique
 
 
Gavé de décibels et de rythme endiablé
Je cherchais une place où des sons pacifiques
Étancheraient ma soif des rondeurs emphatiques
D’un solide couplet rassurant et râblé.
 
En une vieille rue aux charmes surannés,
Loin des déhanchements des foules hystériques,
Je fus ensorcelé par les sons mirifiques
D’un simple quatuor d’hommes enturbannés.
 
L'auberge me grisa de senteurs de soupières.
Dans un décor de cuir, de mors et de croupières,
La servante arborait un sourire éclatant…
 
Fifre et vielle à roue, bugle et ophicléide
Charmèrent mon repas… Et c’est le cœur battant
Qu’en son lit je suivis la soubrette candide…
 
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          Jacques Fabre ©  juillet 2004 
 



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