Les textes de Jacques Fabre
 
 
 
Grenouille
 
 
 
 
 
 
 
 
scorpion
La grenouille et le scorpion
 
 
Sur les humides bords d’un ru impétueux
Une rainette un peu naïve
Croisa un vieux scorpion podagre et souffreteux
Voulant atteindre l’autre rive.
Craignant que l’eau glacée n’excite les douleurs
Dont sa carcasse était recrue,
L’impotent arthropode implorait les faveurs
De cette amphibie ingénue,
Dont le dos, disaitil, lui serait une nef
Accueillante. Elle était capable
De vaincre sans souci le tumultueux bief
Qui lui était infranchissable.
La grenouille hésitait. « Messire le Scorpion,
Tous les membres de votre race
Ont, hélas, hérité la réputation
D’animaux cruels et voraces…
Si l’idée vous prenait, quand nous naviguerons,
De trucider une rainette,
Votre sinistre baïonnette
Pourrait m’envoyer par le fond !…
Mon enfant ! Votre crainte est vaine !
Protesta le scorpion. Songez qu’en vous tuant
Ma propre mort serait certaine,
Car je m’engloutirais aussi en vous noyant ! »
Par cet argument séduite
La crédule grenouille accueillit le scorpion.
Dans les flots agités, sa sage conduite
Se jouait de maints tourbillons.
Ni vagues, ni remous ne déviaient sa marche ;
Son passager, bien à l’abri
Des embruns et des clapotis
Trônait sur son épaule en digne patriarche.
Ils n’avaient pas atteint la moitié du voyage
Que la pointe acérée du dard
Traîtreusement planté par l’infâme vieillard
Arrêta d’un seul coup la nage !…
Le poison, dans Rainette, aussitôt répandu
Glaçait muscles et cartilages,
Rendant imminent le naufrage…
Tout l’équipage corps et biens était perdu.
« Vous saviez bien, pourtant, que par votre venin
Nous allions périr vous et moi ! 
Criait Rainette. Hélas ! hélas ! Pardonnezmoi…
Je dois piquer ! C’est mon destin… »
 
Quelque soin que l’on prenne à brider ses instincts,
A dissimuler sa nature,
On ne saurait celer longtemps son imposture :
Le passé, toujours, nous rejoint.
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Jacques Fabre © 3 août 2004                
 
Le piquenique des quatre tortues
 
 
 
Émergeant des torpeurs d’un hiver rigoureux
Quatre tortues, humant la douceur printanière,
Sentaient sourdre en leurs reins la fièvre aventurière
Qui pousse les vivants à marcher sous les cieux.
«  Pourquoi n’irions–nous pas, en ce jour magnifique
Nous dégourdir un peu, et prendre un bon bol d’air ?
Quelques provisions et un léger couvert
Suffiraient pour un pique–nique ! »
Ainsi fut fait. Et nos tortues de réunir
En hâte ce qu’il faut pour boire et se nourrir
Légèrement, sans festoyer,
À quelques lieues de leur foyer.
« Hâte » est–il le bon mot ?… Que l’on m’entende bien,
On le doit replacer dans l’ordre chélonien :
Il ne fallut pas moins d'une longue semaine
À nos quatre tortues pour qu’elles soient enfin
Prêtes à prendre le chemin
Et à courir la prétentaine.
Ivres des mille odeurs qu’exhale le printemps
Nos cistudes jouissaient des parfums, des fragrances
Qui embaument partout les sentiers et les champs.
À muser sans arrêt, la nonchalante engeance
Ne réalisait pas que l’été approchait !
Enfin la troupe vit  au détour d’un bosquet
Un endroit en tous points parfait
Qu’elle choisit pour son banquet.
Pendant trois jours, on déballa les victuailles.
Tout semblait bel et bon pour la grande ripaille :
« Le pain ?– Point trop rassis ; – Et les fruits ? – Point trop blets ;
Le vin ? – Quoiqu’éventé, juste un peu aigrelet…
– Allons ! Mangeons, mes soeurs, avant la saison chaude !
– Mon Dieu ! entendit–on. Ah ! que je suis nigaude !
J’ai oublié…  – Quoi donc ? – C’est pourtant essentiel…
Sur la table… en partant … le petit pot de sel … »
Par Jupiter ! l’oubli était impardonnable…
Tortues, dîner sans sel ? C’était inconcevable !
La distraite accepta de rentrer prestement
Pour rapporter le condiment.
Les trois autres devraient différer les agapes
Jusqu’après son retour, ayant bouclé l’étape.
Elle partit. La longue attente commença.
Des jours et des semaines, et puis un mois, passèrent.
L’aînée de nos tortues, alerte centenaire
Que la faim tenaillait, voulut qu’on attaquât
Avant que le tout ne se gâte.
Mais sortant du couvert d’un arbrisseau en fleurs
L’oublieuse convive apparut en fureur :
« Est–ce ainsi que l’on tient ses serments, soeurs ingrates !
Vous vous disposiez donc à commencer sans moi ?
Vous eussiez enduré de vous emplir la panse
Tandis que je peinais sur les chemins de France
Pour vous bailler du sel avant la fin du mois ?
Puisqu’il en est ainsi, par ma foi, je renonce !
Je n’irai point du tout. Ceci est ma réponse !
 
tortue
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L'escargotin
Le papillon lubrique
L’escargotin
 
 1
Dans un décor très bucolique,
Un papillon d’humeur lubrique,
Avisant une jolie fleur,
Eut envie de lui faire honneur.
Pour affrioler son pistil
Il était prêt, prétendait-il,
A pomper toute la rosée
Dans la nuit fraîche déposée.
La fleur fit mine de rougir ;
Dit qu’il lui fallait réfléchir ;
Qu’on ne cède pas aux avances
D’un malappris tentant ses chances…
Le papillon en fut marri.
Son zèle s’en trouva tari.
Fort confus, il tira de l’aile,
Et laissant là la demoiselle
Il bredouilla quelque regret
De s’être montré indiscret.
 
 
2
 
S'il fallait que les papillons
Sollicitassent des pardons
Lorsque leur vient l'envie coquine
De butiner la capucine,
Maintes prairies, quand vient l'été,
Feraient entendre à satiété
Les échos de cent mille excuses !
Vous permettrez que je récuse
Et la faute, et le repentir.
J'ose affirmer, et sans rougir,
Qu'on ne saurait blâmer l'insecte
Pour sa demande trop directe.
S'il encourt un vrai châtiment
C'est pour avoir, piteusement,
Renoncé à passer à l'acte,
Et laissé la fleurette intacte !..
  
          
 
Aujourd’hui, ma petite–fille
A trouvé un escargotin.
La fraîche rosée du matin
A semé d’argent sa coquille.
 
Elle agace d’une brindille,
Avec un rire cristallin,
Les deux cornes du diablotin
Qui fuit, et se recroqueville.
 
Elle suit d’un regard câlin
Le déhanchement serpentin
Du limaçon qui se tortille.
 
D'une caresse de gorille…
Elle écrabouille son copain !
Tu n’es pas toujours tendre, Camille !
 
     Jacques Fabre © 2 novembre 2003
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      Jacques Fabre © Août 2005   
 
 
 



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