Les textes de Jacques Fabre
 
 
 
 
 
   Les champs me parlent
 
Les champs me parlent. J’aime, aux horizons brumeux,
Voir leurs sillons se perdre en vagues convergentes,
Épousant des coteaux les courbes nonchalantes
Où chante l’ocre brun de sombres camaïeux.
 
Mais leur muet discours reste mystérieux.
Les signes colorés d’une langue savante,
Dans l’océan figé de la terre indolente,
Semblent tracer des mots qu’ils destinent aux cieux.
 
Les vents fous de l’automne emportent ces paroles ;
Des nuées d’étourneaux, en noires farandoles,
Les reprennent en chœur et font vibrer l’azur.
 
Quand, du flanc éventré d’une motte féconde,
Émerge en tremblotant l’espoir d’un blé futur,
Mon cœur croit accueillir l’enfant qui vient au monde.
 
les champs me parlent

Photo Jacques Fabre (c) 2003

                 Jacques Fabre © 7 septembre 2005                            
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mer rouge
Photo Hillary
Mer Rouge
 
Je ne laisserai pas, sur la grève éclatante,
La trace de mon pas accablé de chagrin.
Je ne chercherai pas, dans cette eau transparente,
Le sourd frémissement du monde sousmarin.
 
Je laisse au madrépore, aux algues gracieuses
Mollement agitées par les tièdes courants,
Le soin de vous veiller, dépouilles précieuses,
Et de puiser leur vie en vos restes gisants.
 
C’est tout au fond de moi, pour un autre séjour,
Que votre âme chérie a fixé sa demeure.
Ma pensée vous y trouve, et la nuit, et le jour,
Et vous y resterez jusqu’à ma dernière heure.
 
Mais quel crime odieux se paie de tant de peine ?
Vous aije assez aimés ? Vous l’aije dit souvent ?
Mes questionnements m’assaillent en antienne…
Pourquoi vous ? Pourquoi moi ? Et pourquoi maintenant ?
 
Je n’ai plus que mon cri à lancer jusqu’aux nues.
Et mes pleurs pour couvrir les pages restées vides
Du livre de vos vies trop tôt interrompues,
Éteintes à jamais au fond des flots sans rides.
 
Ah ! que n’ai-je la foi d’en appeler au Père,
Qui m’aurait tant donné, pour me reprendre tant !
Quelle grâce pourrait déchirer le mystère
Qui me broie aujourd’hui d’un malheur écrasant ?
                                      
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              Jacques Fabre © janvier 2004
 
Progrès
 
La cour ruisselle encor de la dernière averse.
Comme pour un comice, il est endimanché.
Il parle au vieux cheval, qu’il n’a pas harnaché,
Mais qui semble sourire aux mots doux qui le bercent.
 
Cent fois, d’un geste lent, il glisse son bouchon,
Sa main lustre sans fin la robe et l’encolure ;
Ses yeux cherchent en vain la moindre salissure,
Retardant un instant la séparation.
 
Déjà, le maquignon ronchonne et s’impatiente ;
Il ouvre bruyamment les portes du fourgon.
Le vieux cheval regimbe en gravissant la pente.
 
Pesamment, le vieillard regagne sa maison.
Son regard embué et chargé d’amertume
Évite l’écurie où un tracteur bleu fume.
 
Progrès
 
tracteur
                Jacques Fabre © 24 mars 2004              
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naufrage

Werner Heldt

Naufrage
 
 
 
L’asphalte mouillé luit comme un dos de baleine,
Et tangue sous ses pieds, au centre de l’îlot
Que trace sur le sol la clarté de falot
D’un bec de gaz dressé comme un mât de misaine.
 
L’océan rugissant de malheur et de haine
Qu’il tente d’oublier de goulot en goulot
Bat à coups furieux autour du matelot,
Naufragé dans les rues de la ville inhumaine.
 
Le sol mouvant, sans un répit, trouble son pas.
Se noyer dans l’alcool serait un doux trépas…
La nausée des rancœurs remonte dans sa gorge.
 
Point de port, point de phare au sinistre horizon.
De ses poumons râlant comme un soufflet de forge
Jaillit un cri. Il hurle à perdre la raison.
 
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         Jacques Fabre © 29 août 2005
 
Le temps des funérailles
 
 
La place s’est peuplée à l'heure matinale.
Les visages sont gris. Quelques bouquets de fleurs
Plaquent sur ce décor des taches de couleurs.
Le glas s’égrène au loin dans la brume automnale.
 
La veuve est entourée. Chaque étreinte amicale
Noie un instant ses yeux d’un renouveau de pleurs,
Embuant son regard de perles de douleur
Qui roulent sur sa joue blafarde et glaciale.
 
Le mort a réuni près de lui les vivants.
Les sourires émus des nouveaux arrivants
Déchirent un instant la chape de grisaille.
 
On est triste et discret ; mais au fond, quel bonheur
De revoir quelque temps un beau-frère, une soeur…
Ah ! que vienne souvent le temps des funérailles !
 
Cimetière

Photo Jacques Fabre (c) novembre 2004

    Jacques Fabre © 8 novembre 2004                   
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